mardi 29 juin 2010

Quelle Morale pour l'Afrique en ce temps de disette?

Depuis plus de six siècles, l’arrivée des Occidentaux a entraîné d’énormes pertes et troubles en Afrique. Notamment avec l’esclavage, l’impérialisme, le colonialisme et de nos jours le néocolonialisme; l’africain a été dépossédé de son identité et de ses terres. Aussi, même après l’indépendance, l’Afrique n’arrive toujours pas à se reconstruire ce qui explique la disette profonde qu’elle connait encore aujourd’hui. On se demande alors bien ce qu’il y a lieu de faire pour pallier à ce bémol. Quelle morale appropriée permettra à l’Afrique de quitter sa situation de dépendance ? Le problème posé par ce sujet est celui du choix d’une morale bonne pour l’Afrique. Résoudre un tel problème revient d’abord à décrire la disette dont elle fait preuve, montrer comment ces différentes morales ce sont pratiquées et en dernière analyse proposer la morale la meilleure et voir dans quelle mesure elle peut s’appliquer aujourd’hui.

Avant l’arrivée des Occidentaux en Afrique, même si cette dernière n’était pas le paradis les Africains étaient unis. Et Senghor le démontre dans l’Anthologie africaine de Jacques Chevrier dans son poème « ils sont venus » en disant :

Ils sont venus au clair de lune

On dansait on riait.

Ce qui est la preuve de l’existence d’une fraternité et surtout d’une ambiance sereine. C’est avec la présence des colons surtout à partir du moment où ils commencent à signer les traités à caractère commerciaux avec les chefs traditionnels que le calvaire commence. On pense notamment au commerce des esclaves noirs en partance pour l’Europe; en retour les chefs recevaient l’alcool, les fusils, la pacotille…etc. Les Noirs étaient donc échangés contre les choses et partant étaient eux-mêmes chosifiés voire animalisés ; puisqu’on les traitait moins que les animaux. C’est ce que nous devons comprendre lorsque dans Cahier d’un retour au pays natal Aimé Césaire affirme : « Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes, que les pulsations de l’humanité s’arrête aux portes de la négrerie (…) et on coûtait moins chère que les pagnes d’Irlande ».Ceci veut également signifier que les Africains ne sont pas des personnes civilisées, ils ont donc besoin de civilisation, qui est l’apanage de l’Occident. C’est pourquoi ils pouvaient se vanter d’avoir reçu une mission civilisatrice. Laquelle s’est perpétuée avec l’impérialisme, la colonisation et le néocolonialisme. Au sortie de tout ceci l’Afrique a besoin de se relever mais alors comment ? Avec quelle morale ?

La morale des mauvais jours précisément celle stoïcienne enseigne que l’on ne peut atteindre la liberté et la tranquillité qu’en étant insensible au confort matériel et à la fortune extérieure et en se consacrant à une vie de raison et de vertu. Bien plus la doctrine stoïcienne selon laquelle chaque être humain est une partie de Dieu et que tous les hommes constituent une famille universelle ne peut nous sortir de notre situation actuelle dans la mesure où les Africains ont essayé de mettre en pratique cette doctrine et ça n’a pas marché. Pendant la période coloniale nous avons pris les Occidentaux comme nous-mêmes et avons à moment donné levé les barrières nationales, au point ou la domination était devenue quelque chose de naturelle. Le stoïcisme nous endort et empêche toute tentative de changement puis que tout devient naturel et on reste dans une logique défaitiste on va faire comment. Un peu comme-ci on devient les pions de la nature. Nous pensons qu’une telle attitude peu plutôt davantage nous maintenir vers le bas. Parce qu’on ne peut pas prendre quelqu’un comme nous-même quand pour cette personne on ne représente rien. Seulement dans les années 40 la majorité des Africains ont dépassé le stoïcisme et ont adopté une morale collective. Laquelle morale leur a permis de se soulever contre les Colons pour revendiquer leur indépendance. Là les Africains se sont levés comme un seul. D’ailleurs on ne parlait pas de l’indépendance de tel ou tel pays en particulier mais de l’indépendance de l’Afrique en général. Parce tous les Africains avaient le même intérêt sortir de la domination. Et partant tous s’entraidaient et parfois formais les parties politiques qui pouvaient s’étendre d’un pays à un autre on pense au Cameroun et au Nigeria. On voit qu’il n’y avait aucune discrimination d’ordre raciale ou ethnique; et c’est cette fraternité là, cette alliance qui nous a permis d’avoir cette petite liberté qu’on a aujourd’hui. Cependant, au lendemain des indépendances on retombe aussitôt dans un utilitarisme égoïste. Qui consiste à ne rechercher que l’intérêt personnel. Tout ceci parce que certains pays se croient plus avancés que d’autres et ne veulent pas courir le risque de s’unir aux autres. Mais une telle attitude a une explication logique dans la mesure où pendant la lutte pour les indépendances il y avait les nationalistes qui étaient pour une indépendance totale et immédiate avec le départ immédiat des puissances coloniales. Aussi ces derniers voulaient d’abord la réunification des peuples Africains et d’autres les pros occidentaux qui étaient pour une indépendance lointaine qui supposait aussi la reconnaissance des colons comme nos pères et maitres et leur droit d’ingérence dans nos affaires. Et la voie qui triomphe est la deuxième puisqu’elle allait en conformité avec les colons qui voulaient partir sans partir. On comprend donc que pour les pro-occidentaux l’Afrique ne devaient pas s’unir puisque déjà il y a un côté anglophone qui luttait pour les intérêts des Anglais et francophone pour les Français. Aussi, les Occidentaux n’avaient aucun intérêt à voir l’Afrique s’unir c’est au contraire l’unité qui devait constituer un frein à leurs intérêts. Tout cet argumentaire était juste pour montrer que ceux qui ont lutté pour l’Afrique n’ont pas pu porter leurs idéaux au sommet puisqu’ils ont été soit tués soit mis de cotés. Et que ceux qui ont pris les reines servaient juste les intérêts de l’extérieur. Ce sont les Africains qui n’aiment pas l’Afrique et n’ont aucun intérêt à ce qu’elle sorte de la disette. L’Afrique reste donc pseudo indépendante dans la mesure où elle doit toujours rendre des comptes aux puissances tutélaires Nkrumah peut alors dire que le néocolonialisme est le stade ultime de l’impérialisme.

Bien plus, cette utilitarisme s’explique également par le fait qu’en 1963 quand les tous chefs d’Etats Africains ce sont rassemblés à Addis Abebas pour penser un projet commun de développement pour l’Afrique Nkrumah à proposer la création des Etats Unis d’Afrique; idée qui a été avortée par la majorité des chefs d’Etats qui ne voyaient aucun intérêt à s’unir surtout qu’à cette période il y avait des Etats plus avancés que d’autres et en aucune façon ceux-là n’étaient disposés à s’unir avec les pays plus pauvres. Chaque pays ne recherchait donc que son propre intérêt. On voit là un utilitarisme égoistique. Qui nous plonge dans la morale relative. Chacun cherche ce qui est bien pour lui au détriment des autres. C’est précisément une telle attitude qui maintient l’Afrique vers le bas, puisque même les Européens qui sont développés ont vu l’urgence de s’unir; c’est l’union qui fait la force et ils ont mis sur pied l’UE (Union Européenne) afin de sauvegarder de leurs intérêts et de faire face à l’ennemi commun : les Arabes. Mais les Africains ne trouvent aucun intérêt à s’unir. Puisque toutes les organisations mises sur pied l’UA, la Cemac ne sont que des instruments, des décors qui ne changent rien à leur situation initiale. Les Camerounais ne sont libres dans leur sous région, il y a des violences des discriminations, des meurtres qui sont la preuve de l’immoralisme dont fait preuve l’Afrique. Et que dire de la multitude des intellectuels Africains qui étaient sensés éclairer la lanterne du peuple et penser les voies et moyens pour sortir l’Afrique de sa situation d’assistés ? Comment comprendre que l’Afrique soit aussi riche matériellement avec autant d’intellectuels qu’elle comprend aujourd’hui être dans cette situation de disette 50ans après les indépendances ? Est-ce parce que ces derniers sont indifférents aux problèmes de l’Afrique ou parce que leurs écrits ne sont pas pris en comptes ?

Certains intellectuels ont proposé des pistes pour sortir de cette disette on à Nkrumah qui a rédigé une pléthore d’ouvrages à cet effet. Notamment avec son livre l’Afrique doit s’unir ou il démontre que la survivance de l’Afrique libre, les progrès de son indépendance et l’avance vers l’avenir radieux auquel tendent nos espoirs et nos efforts dépendent de l’unité politique « si la majeure partie de l’Afrique était politiquement une, il pourrait se créer une Afrique unie, grande et puissante, où les frontières territoriales qui nous restent de l’époque coloniales seraient désuètes et inutiles, et travailleraient à une mobilisation complète et totale de l’organisme de planification économique, sous une direction politique unifiée. Les forces qui nous unissent sont plus grandes que les difficultés qui nous divisent à présents, et notre but doit être de rendre à présent et notre but doit être de rendre l’Afrique digne, moderne et prospère »[1]. On comprend alors que pour cet auteur il y a une urgence de s’unir. Concrètement, il propose pour commencer une constitution à l’intention des Etats qui accepteraient de constituer un noyau ; en laissant la porte à tous ceux qui désireraient se fédérer ou obtiendraient la liberté qui leur permettrait de le faire. Aussi cela suppose la mise sur pied d’un parlement continental à deux chambres, dont l’une représenterait la population et discuterait des nombreux problèmes auxquels l’Afrique doit faire face, et l’autre, qui assumerait l’égalité des Etats, sans considérations de taille ni de population, chacun d’eux y voyant le même nombre de délégués ; formulerait une politique commune dans tous les domaines qui concernent la sécurité ; la défense et développement de l’Afrique

Bien plus, Towa voit plutôt comme obstacle à l’Afrique le fait de chercher à tout prix à s’enfermer dans l’héritage culturel qui est une sorte de régression. Pour lui, le développement passe par une critique sans complaisance de l’héritage culturel et surtout en se mettant à l’école Occidentale pour copier la techno science qui a permis à l’Europe de se développer. « Notre liberté, c’est-à-dire, l’affirmation de notre humanité dans le monde actuel, passe par l’identification et la maîtrise du principe de la puissance européenne, car si nous ne nous approprions pas ce principe, si nous ne devenons pas puissant comme l’Europe, jamais nous ne pourrons secouer le joug de l’impérialisme européen ».[2] Mais nous voyons qu’aujourd’hui les Africains sont spécialistes de science et technique mais notre situation n’a pas beaucoup changer sinon négativement.

Aussi, Njoh Mouelle a proposé aux Africains comme solution de quitter la médiocrité pour l’excellence. Et l’aspect fondamental de l’homme par où il réalise son excellence est l’aptitude à la liberté, à la créativité. L’homme excellent recherche également le bien universelle « l’homme excellent, en tant qu’il prend des initiatives novatrices, engage le sort de ses semblables. Il doit agir de telle sorte que vouloir son propre bien ne contredise pas le bien des autres ; en d’autres termes vouloir son propre salut et vouloir le salut de ses semblable doivent être une seule et même chose. Il n’est responsable que parce qu’il est apte à la liberté ; et si sa recherche de la liberté devrait nuire à la libération des autres, il fait échec par là même à sa propre libération et se dénoncerait comme indigne de la responsabilité de l’humain ».[3] D’après ce point de vue de Njoh Mouelle, nous pouvons conclure que les africains pour sortir de la disette doivent chercher à être des hommes excellents ceux-là qui se libèrent de façon perpétuelle et qui sont responsables autant d’eux-mêmes que des autres. Et l’homme est au centre du développement ceci suppose qu’il est une valeur au dessus de tout. Et partant qu’il ne peut servir de moyen pour atteindre des fins égoïstes. Comme c’était le cas pendant la période coloniale.

Comme autre solution pour sortir de la disette Fanon est pour le dépassement, l’autodépassement pour lui, il n’est plus question aujourd’hui de nous apitoyer sur notre sort mais de nous affirmer entant qu’existant. Autrement dit, à une philosophie des essences ; il fait substituer une philosophie de l’existence. Il s’accorde ainsi avec la pensée de Sartre suivant laquelle « je ne suis pas une essence, je suis une existence, je me choisis perpétuellement [4]». La pensée fanoniénne est une pensée de libération, un culte de la liberté. C’est celle-là que Fanon conseil aux colonisés d’abord puis aux décolonisés ensuite. Puisque si je ne suis pas prisonnier de l’histoire, je ne dois pas y chercher le sens de ma destinée. Je dois me rappeler à tout instant que le véritable saut consiste à introduire l’intervention dans l’existence. Dans le monde où je m’achemine, je me crée interminablement. Je suis solidaire de l’être dans la mesure où je le dépasse.

De tout ce qui précède nous avons vu que seul nous ne pouvons rien et ensemble nous sommes comme une armée solide et indestructible. C’est pourquoi nous devons faire nôtre ce proverbe africain « une main ne peut pas attacher un paquet ». Les Africains ont besoin d’unir leurs forces afin de s’imposer sur la scène internationale. C’est après une union forte que les Africains peuvent se révolutionner pour combattre l’occident car pour parler comme Fanon, aussi longtemps que le peuple dominé n’a pas recouvré ce pouvoir, il n’est pas en mesure de redonner vie à sa culture constituée parce que, entant que dominé, il ne peut rien décider. La révolution renverse le rapport colonial de forces et place de nouveau le peuple colonial en position d’opérer des choix, de les faire respecter et de les concrétiser, dans le domaine politique et économique, mais aussi dans celui de la culture. Un des facteurs les plus importants intervenants dans la renaissance culturelle déterminée par la révolution réside dans le rôle des masses moins atteintes par l’occidentalisation. La révolution est avant tout promotion des masses et, par conséquent, promotion de leur culture demeurée largement traditionnelle. La proposition de Fanon nous semble plus réaliste que les précédentes. C’est pourquoi nous pensons que les Africains doivent prendre leur destin en mains et arrêter de penser que c’est l’Occident qui devrait nous sortir de cette disette dans la mesure où il est responsable de ce que nous sommes devenus. C’est un leurre que de penser.

Au sorti de notre analyse qui portait sur la morale adéquate pour ce temps de disette, nous avons fait le tour des morales et avons remarqué que toutes ces morales ont déjà été pratiquées en Afrique. Seulement il n’y a pas de morale bonne en soi qu’on pourrait poser comme un remède à tous les maux. Puisque toutes ces morales peuvent s’appliquer dans un pays ou un continent à différente période. C’est pourquoi nous pensons que la morale appropriée en ce temps de disette pour l’Afrique est la morale collective. Vu qu’elle est la seule qui permet aux Africains de se réunir, de rechercher l’intérêt commun. C’est-elle qui nous a permis de nous unir comme un seul pendant les indépendances et de revendiquer notre indépendance. Les Africains gagneraient donc à s’impliquer dans les organisations continentales pour discuter de leur devenir. Puisque ce n’est qu’en étant uni qu’on peut sortir le plus rapidement possible de notre situation malheureuse. Il est donc opportun pour nous de prendre notre destin en main et d’arrêter de nous apitoyer sur notre sort. Face aux structures nous pouvons toujours arriver à nous imposer et à marquer l’histoire d’une pierre blanche.

BIBLIOGRAPHIE

1- Clément Mbom, Frantz Fanon Aujourd’hui et Demain, Paris, éd. Clé, 1972.

2- Ebénizer Njoh Mouelle, De la Médiocrité à l’Excellence, Yaoundé, éd. Clé, 1972.

3- Kwame Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, (3éme éd) Paris, Présence Africaine, 1994.

4- Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, éd. Clé, 1971.


[1] -Kwame Nkrumah, L’Afrique Doit s’Unir, Paris, Présence Africaine, 1994, P.253-254.

[2]- Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, éd. CLE, 1971.P.55.

[3]- E. Njoh Mouelle, De la Médiocrité à l’Excellence, Yaoundé, éd. CLE ,1972. P.159.

[4]-Clément Mbom, Frantz Fanon Aujourd’hui et Demain, Paris, éd. Fernand Nathan, 1985.P. 267-268.

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